Pandémie 2020-2021

Pandémie est un endroit où d’emblée je n’avais pas envie d’aller, mais que j’ai dû visiter bien malgré moi.

D’abord une rumeur nous est venue de Chine. Puis s’est répandue comme une trainée de poudre. Et tous, nous sommes tombés en plein inconnu, des malades partout, des morts et des morgues improvisées. Et la peur. Malgré tout, chez moi, ça s’est plutôt bien passé.

Ça va bien aller …

nous martelaient nos politiciens. Il y avait des dessins d’arc-en-ciel partout, même Hamster en a emprunté les couleurs. Mais ça n’allait pas mieux, tout ce qu’on apprenait laissait entrevoir que cette étrange époque durerait longtemps. On nous a parlé d’éventuel vaccin à l’automne… dans plus de six mois. Et chaque jour, les médias nos inondaient de COVID : les malades, les hospitalisations, les morts, l’épuisement des gens aux premières lignes, les autres pays. Nos dirigeants faisaient de leur mieux pour nous rassurer. Les journées qui allongeaient nous donnaient le courage d’écouter les consignes.

Les pénuries

Très très tôt, au tout début de la pandémie, alors qu’on parlait encore d’épidémie, les gens se sont rués sur le papier de toilette. Les réseaux sociaux montraient des vidéos de gens qui se sautaient dessus dans les grandes surfaces pour du papier-cul.

Et puis après, les insécurités ont causé d’étranges pénuries : levure, farine, riz, œufs, beurre d’arachide, graine de tournesol pour les oiseaux. On ne connaissait plus ça dans notre monde contemporain. Tout ce qui touchait au « vivre à la maison » était désormais susceptible de rupture de stock. Alors pour ne pas se faire prendre, les consommateurs se sont mis à stocker plus, ce qui a amplifié le problème.

Les gens se sont mis non seulement à la cuisine, mais au jardinage et à la mise en conserve. Pénurie de pots Mason, de couvercles, d’épice à cornichons, de semences, de pots de jardins. Et j’ai fait de même, pas juste pour passer le temps, mais aussi parce que j’étais rendue là dans ma vie. Et j’ai continué mon jardinage au sous-sol. Mon installation grandit, j’ai maintenant une tente de culture. Puis, j’ai acheté un germoir, et je découvre une nouvelle manière de manger des légumes.

À l’été, parce que les voyages à l’extérieur de la province n’étaient pas recommandés, les gens se sont rabattus sur des activités extérieures. Les vendeurs de vélo ont fait de bien bonnes affaires.

Les insolubles

Il arrive que des problèmes n’ayant en apparence aucun rapport entre eux trouvent un lien dans une solution commune. D’abord, j’avais envie de renouveler ma garde-robe et je ne trouvais plus rien qui me plaise dans le prêt-à-porter. Avec la pandémie, alors que j’entamais ma retraite, je voyais mes placements fondre comme neige au soleil. Puis l’histoire des masques s’est rajoutée à l’équation. Un matin, j’ai eu une illumination : la couture ! J’allais apprendre à coudre, ce qui résoudrait toutes ces problématiques. Et j’ai découvert que savoir coudre, c’est un super pouvoir.

Les achats en ligne

Au tout début, quand on ne savait pas exactement comment se transmettait le virus, il fallait non seulement se laver les mains, mais laisser reposer des objets qui auraient été préalablement touchés, laver son épicerie, être le moins possible en contact avec les autres, et acheter en ligne dans la mesure du possible. Cela aura permis à de nombreux petits commerçants locaux de s’y mettre, et aux consommateurs de découvrir des merveilles. Par contre, acheter des tissus en ligne, ce n’est pas top.

Comme notre manière de consommer a dû s’adapter, beaucoup ont réfléchi sur leur mode de consommation. Moi je sais que je n’ai plus envie de retourner dans les grands centres commerciaux, et je sais que ma vie après-COVID ressemblera, au chapitre de la consommation, à cette période de confinement.

Le temps et l’ennui

Au début, le temps s’étirait. Si la couture me donnait espoir de chasser l’ennui, mon mari s’est mis à écouter de vieilles parties de hockey, puisque les sports d’équipe étaient pour ainsi dire « sur la glace ».

Les gens se sont mis à la marche, et il était facile de repérer les novices qui se déplaçaient lentement, du mauvais côté de la piste cyclable. Ceux-là, on les a vu un moment, puis ils ont disparu.

Ensuite, l’été est venu, et avec lui, un déconfinement qui nous a fait du bien.

Et quand l’automne est arrivé, que les écoles ont recommencé, les cas se sont multipliés, la deuxième vague anticipée nous a frappée de plein fouet. Depuis, nous sommes en zone rouge.

Je ne me souviens plus à quand remonte mon dernier plein d’essence. Ça doit faire mille ans.

André

Alors que je préparais le nectar pour le retour des colibris en avril, j’ai appris que mon oncle André était atteint de la COVID, en fin de vie.

André, c’est l’oncle dont toutes les nièces étaient amoureuses. À l’âge de 4 ans, si je n’avais pas été tellement convaincue que j’allais marier Gilles Vigneault, c’est André que j’aurais choisi.

Je lui avais confié mes projets d’écriture. Il s’était d’emblée offert comme lecteur. Mais il était impitoyable. Il disait que mes textes étaient mauvais, que je devais creuser le détail, l’angle, et travailler, travailler, travailler. Un jour, il m’a envoyé une composition de son cru. C’était un long texte qui racontait une photo, lui et son père. Couleur sépia, l’image montrait un père et son fils, rien d’autre. Jos avait en main un foulard que tenait aussi André, enfant. Père et fils se touchaient par le biais d’une écharpe, chose distante qui diluait l’amour. C’est en le lisant que j’ai compris ce souci du détail qu’il appréciait en écriture.

Il était enseignant. En 2006, au moment de prendre sa retraire, à l’âge de 60 ans, il a été terrassé par un triple AVC qui lui a fait perdre la vue presque complètement. Avec son frère Jean-Claude, mon parrain, nous lui avons rendu visite. Au retour, Jean-Claude et moi avons fait un arrêt à Québec, au restaurant de Simon, mon cousin, le fils d’André. Nous avons mangé sur la terrasse en plein Vieux-Québec. Jean-Claude était heureux que ce malheur nous ait réuni dans cet instant tellement lumineux dont je garde un souvenir impérissable. Jean-Claude nous a quitté en 2010.

L’année suivante, j’ai retrouvé André chez Simon à Québec. Nous devions passer la journée ensemble et rejoindre sa femme Louise plus tard à Chicoutimi.

Perdre la vue subitement impose une série de deuils en simultané. Il m’a raconté sa rééducation, sa dépression, les choses qui avaient dû être modifiées dans sa maison. Nous avons marché dans les rues de la capitale. Il avait sa canne blanche avec lui mais il était trop orgueilleux pour la déplier, misant plutôt sur un avertissement discret porté sur le col de sa veste que je n’avais même pas remarqué. Il apprivoisait sa cécité, et s’ouvrait à tout ce qui allait devenir nécessaire dans sa nouvelle réalité. Nous avons mangé dans un restaurant italien. Il a choisi des pâtes coupées, plus facile à gérer. Il m’a demandé de le conduire aux toilettes, je l’ai laissé à la porte. Au sortir, il m’a raconté ce que c’était devenu pour lui que de découvrir un lieu d’aisance public inconnu, de pisser à la bonne place.

Il cherchait des livres audios. Nous nous sommes rendus chez Archambault, Place Sainte-Foy. Nous avons localisé une toute petite section. Il fallait que je lise chaque descriptif, ce qui était long. Nous nous sommes assis par terre en pleine librairie. André a déployé sa canne blanche, délimitant un mini monde juste pour nous deux, que les passant contournaient respectueusement. Il m’a reparlé de la magie de cet instant par la suite. En partant, comme je me perds facilement dans Québec, j’ai un peu compté sur André qui, de mémoire, me fournissait des indications évasives. C’est là où pour moi l’expression « the blind leading the blind » a pris tout son sens.

Je l’ai revu en 2017, et j’ai senti alors que ce serait peut-être la dernière fois. Il est parti au printemps 2020, avant le retour des colibris.

L’image

Les cheveux font partie de l’image que nous projetons et prennent une importance démesurée chez certains. J’ai envie de parler ici de ceux que j’appelle les COVhypocrites. Un petit oiseau m’a rapporté que des coiffeurs et des coiffeuses ont continué malgré les interdits de pratiquer leur métier dans la clandestinité. J’ai croisé des femmes affirmer un peu trop fort faire leur coloration elles-mêmes, mais dont la frange toujours bien taillée ne leur a jamais chatouillé les yeux tout au long de cette période d’isolement. Bien sûr, pour ne pas attirer l’attention, il n’était pas possible de faire des mèches, mais une coloration maison, ça s’explique.

À cause de cela, je me suis mise à aimer d’emblée les mal peignés, ceux que j’ai affectueusement nommé les COVhirsutes. Je les aime, parce que j’ai moi-même une tête épouvantable et si j’aime ces têtes de coureur des bois, c’est que ça me permet de me trouver belle malgré ces mèches grisonnantes qui retroussent de partout. J’aime que notre premier ministre Trudeau laisse pousser son impressionnante tignasse bouclée dont la couleur jure avec celle de sa barbe plutôt grise.

Nous sommes devenus esclaves de soins personnels : coiffure, manucure, épilation, massage, etc. Et si je réfléchis aux industries qui n’existaient pas il y a à peine un siècle, je constate qu’une grande proportion des emplois actuels appartiennent à des catégories crées au cours des dernières décennies – le reste, la production de biens essentiels, on l’a délocalisée. En fait, nos entreprises locales répondent pour plusieurs à des désirs de confort plutôt qu’à des besoins de base et distribuent des produits manufacturés ailleurs, ce qui les rend particulièrement fragiles en temps de crise.

Le temps

J’ai profité de cet arrêt obligé pour réfléchir. Parce que c’est le début de l’âge d’or pour moi, il me faut dès maintenant envisager l’endroit où j’aurai envie de finir mes jours. Le modèle actuel qui isole les vieux ne pourra pas survivre à la pandémie. Les gouvernements, les collectivités, les familles, les réseaux devront réfléchir à un nouveau modèle. Vieillir ce n’est plus cool. COVID nous en a fait la démonstration.

Entre-temps, le temps passe et les vaccins sont ici. Ça aura pris moins d’un an et une solide collaboration de scientifiques du monde entier. Ils arrivent alors que les variants montrent les dents.

Je suis toujours en Pandémie, un voyage des plus désolants qu’il m’ait été donné de vivre.

J’ai tellement hâte de rentrer à la maison.

23 mars 2021